UCHIKO
- Mémoire d’un Japon rural encore debout -
En voyageant dans la préfecture d’Ehime, dans l'ouest de Shikoku, la plus petite des quatre îles principales du Japon, j’avais noté entre autres le nom d’un petit bourg souvent mentionné pour la qualité de son architecture traditionnelle et son atmosphère paisible : Uchiko. Situé à une trentaine de kilomètres de Matsuyama, ce village a connu son âge d’or à la fin de l’époque d’Edo et pendant l’ère Meiji, entre le 17ème et le 19ème siècle, grâce à la production de cire végétale (mokurō) d'une qualité exceptionnelle, un artisanat qui a marqué durablement son paysage et permis son essor.
Comme beaucoup d'autres villages dont je parle ici, Uchiko n’est pas un village-musée. Bien que certaines de ses rues aient été soigneusement préservées et même s’il souffre, comme beaucoup d'autres villages au Japon, d'un vieillissement et d'une diminution de sa population, il s’agit avant tout d’un bourg encore vivant, habité, et qui n’a pas été vidé de ses habitants au profit d’une mise en scène touristique. En s’y promenant, on ressent un calme très appréciable, comme à peu près partout sur Shikoku, qui ne connaît pas le surtourisme. Même si Uchiko reste connu des Japonais de la région et également de Coréens depuis la mise en place d'une liaison directe entre Séoul et Matsuyama depuis quelques années, on y croise rarement des groupes ou des foules. Il s'agit aussi d'un lieu de passage pour les nombreux pèlerins du Shikoku Henro, passant par 88 temples tout autour de l'île, il n'est pas rare d'en croiser sur son chemin. Bien que plus animé le weekend d'après ses habitants, lors de ma visite en pleine semaine, il régnait une tranquillité irréelle, caractéristique de la campagne japonaise.
Le cœur d’Uchiko, c’est bien sûr la rue principale de Yōkaichi, qui aligne une cinquantaine de maisons de marchands datant du 19eme siècle, à l’époque où le commerce de la cire faisait la prospérité de la ville. Certaines demeures ont été transformées en petits musées, comme la maison Kamihaga, qui appartenait à l’une des familles les plus influentes de l’époque. Elle permet de mieux comprendre la fabrication de la cire végétale, très demandée à l’époque pour les bougies utilisées dans les temples et les maisons aisées, et toujours fabriquées à l'heure actuelle à la main ici, suivant les mêmes méthodes qu'autrefois, chez Ōmori Warōsoku.
L’un des lieux marquants d’Uchiko reste le théâtre Uchiko-za, construit en 1916. Tombé en désuétude, il fut sauvé par la volonté des habitants et fut entièrement restauré en 1985. Il n'était malheureusement pas visitable lors de mon passage car en cours de rénovation, mais il était habituellement encore utilisé pour des représentations traditionnelles comme le kabuki. Il s'agit de rénovations visant a le rendre plus résistant aux séismes, ce qui est une très bonne chose mais il ne rouvrira pas avant 2029. L’intérieur est accessible même en dehors des spectacles, ce qui permet de découvrir la machinerie, les coulisses.
L’usage de matériaux naturels, enduits de terre, bois locaux, tuiles, et le souci de l’esthétique dans l’architecture témoignent d’un certain raffinement, hérité d’une époque prospère, avec la particularité de voir sur les murs en torchis une teinte jaune pâle voire ocre au lieu du blanc habituel. C’est dû aux terres extraites à proximité du village, à partir desquelles sont fabriqués les enduits et les torchis utilisés traditionnellement pour la construction des murs, ce qui donne cette couleur particulière et unique au Japon.
Aujourd’hui encore, ces terres et ces mêmes techniques, bien qu’avec des outils plus modernes, sont malgré tout toujours utilisées dans la construction et la rénovation de ces maisons.
Si Uchiko se distingue par la richesse de son patrimoine, c’est aussi l’atmosphère générale du bourg qui séduit : les petits cafés tranquilles, les boutiques d’artisans, les collines verdoyantes en toile de fond et sa partie plus "moderne", tout à fait rétro et figée dans le temps. Comme souvent, il y a très peu de choses à faire dans un sens touristique classique, et c’est tant mieux. Ici, on prend son temps, on se perd volontairement dans les ruelles et on profite de l’atmosphère sereine qui règne dans le village, et de la sympathie de ses habitants. Les quelques personnes avec qui j’ai pu interagir m’ont toutes semblé incroyablement gentilles, très faciles d’accès, avec qui on peut parler de tout et de rien. Ayant habité un moment à Tokyo, ça me fait toujours un choc ! C’était également le cas des quelques touristes étrangers que j’ai pu croiser en chemin, notamment des pèlerins. Ces endroits moins connus et plus reculés attirent un autre type de voyageurs : plus humains, plus passionnés, baroudeurs et contemplatifs, pas ceux qui voient le tourisme et le voyage comme un produit de consommation.
En remontant Yōkaichi, on peut s'arrêter visiter le Kōshō-ji, un petit temple tranquille de l'école Zen Sōtō, connu pour sa statue de bouddha couchée et qui se visite gratuitement.
Lors de mon passage, j’ai logé dans une maison d’hôte appelée Uchikobare, tenue par un passionné de culture locale. Il s’agit d’une des anciennes maisons du bourg historique, qui aurait plus de 170 ans, rénovée avec beaucoup de goût et très confortable.
Au-delà de l’hébergement, il s’investit activement pour faire revivre le tissu communautaire du village : en organisant de petits événements, en mettant en valeur les produits locaux, mais également en essayant de sauver et redonner vie à l’Asahi-kan, un ancien cinéma vieux de plus de 100 ans, ouvert en 1925 et situé à quelques pas de là. Il essaye de redonner vie à cette salle, aujourd’hui en sommeil, mais qui pourrait bien redevenir un lieu de rencontres et de création artistique, à condition que la relève s’y investisse. Il y organise parfois des visites, des projections et des concerts. Avec quelques autres clients de l’hôtel, nous avons eu la chance de pouvoir participer à une de ces visites qu’il propose de nuit. L'atmosphère y est d’autant plus étrange et hors du temps. Les murs sont recouverts d’affiches de films de toutes époques, dont certaines très anciennes dataient de l’époque où elles étaient encore peintes à la main. On y trouve même une illustration de la façade du bâtiment, dessinée et offerte par un membre des studios Ghibli.
Malheureusement, ces initiatives ne suffisent aujourd’hui pas à couvrir le coût des rénovations et d’un entretien coûteux. Son propriétaire, très âgé, ne pouvant pas couvrir ces frais et ne trouvant pas d’investisseur, le cinéma est aujourd’hui menacé de destruction. Cependant, les initiatives locales comme celles du propriétaire d’Uchikobare donnent un peu d’espoir quant à la préservation de ces lieux uniques et chargés d’histoire, qui, je pense, ne laissent que peu de personnes indifférentes.
Bien qu’en dehors des itinéraires classiques, Uchiko est très facilement accessible depuis Matsuyama, en environ une heure de train via la ligne JR Uchiko ou 30 minutes avec le Limited Express de la ligne JR Yosan. Depuis la gare, le centre ancien est accessible à pied en une quinzaine de minutes. On peut sans souci y passer une demi-journée, mais si vous êtes sensible à ce genre d’endroits calmes et riches en héritage, je vous recommanderais plutôt d’y passer la nuit là où j’ai logé, voire plus, pour vraiment vous imprégner de l’ambiance et faire plusieurs visites dans la région. C’est notamment l’occasion de visiter Ōzu, à quelques stations de train sur la même ligne, dont je parlerai dans un prochain article, et qui vaut sérieusement le détour aussi, qu’il vente ou qu’il pleuve.
INFORMATIONS
Uchiko - 内子
Uchiko, Kita District, Ehime 791-3301
Uchiko Station ( JR Yosan Limited Express/ JR Uchiko Line)
https://uchikogeni
INFORMATIONS
Uchiko - 内子
Uchiko, Kita District, Ehime 791-3301
Uchiko Station ( JR Yosan Limited Express/ JR Uchiko Line)
https://uchikogenic.com/en/ - https://www.instagram.com/uchikobare - https://www.instagram.com/asahikan.uchiko/